serie
Sculptures Algorithmiques
2017
« Le code est aujourd’hui ce que fut la matière pour la sculpture classique. »
— Casey Reas —
co-créateur du langage Processing
Sculptures Algorithmiques
2017
Du calcul à la lumière : vers une nouvelle grammaire du volume
C’est au sein de la paisible Villa Dufraine, dans le village de Chars (Val d’Oise), que Santiago Torres a conçu en 2017 l’une de ses séries les plus singulières : Sculptures Algorithmiques. À la croisée de la programmation, de l’architecture et du geste artisanal, cette série de trente sculptures uniques marque un tournant dans le travail de l’artiste, qui conjugue ici langage numérique et matérialité brute, dans un dialogue poétique avec la lumière naturelle.
Cette résidence, organisée avec le soutien de l’Académie des Beaux-Arts, a offert à l’artiste non seulement le temps, mais aussi l’espace physique et symbolique pour expérimenter de nouvelles formes. Le cadre rural, l’exposition directe au soleil et le rythme lent du lieu ont profondément influencé l’approche de Torres, qui a conçu ces œuvres non comme de simples objets sculpturaux, mais comme des entités sensibles, pensées pour interagir avec le ciel, le sol et la course du jour.
écrire la sculpture en langage paramétrique:
L’un des aspects les plus remarquables de cette série réside dans son mode de conception. Torres y emploie des outils d’architecture paramétrique, notamment le logiciel Autodesk 3ds Max, pour générer des volumes complexes à partir de règles mathématiques. Il ne sculpte pas au burin, mais au code. Chaque forme est ainsi le produit d’un calcul : elle est définie par une suite de paramètres, de variables, de courbes et d’équations, selon une logique rigoureuse mais ouverte à l’aléatoire.
Ce recours à la programmation générative inscrit Sculptures Algorithmiques dans la tradition des artistes-systèmes, de Vera Molnár à Sol LeWitt, qui cherchaient à déléguer une part du geste artistique à une structure rationnelle. Toutefois, chez Torres, le code n’est jamais pure abstraction : il est un outil au service d’un ancrage physique, d’une présence dans l’espace.
Certaines des formes obtenues par modélisation ont été ensuite coupées, ajustées, et assemblées à la main, sans aucune assistance numérique. L’artiste choisit ainsi de ne pas tout confier à la machine : le code génère, mais la main affine, ajuste, rectifie. Cette tension entre l’algorithme et le geste humain est au cœur de l’œuvre, qui célèbre autant la rationalité du langage que l’imperfection du toucher.
L’argent, le soleil et l’ombre : une chorégraphie lumineuse :
Une fois construites, les sculptures sont recouvertes d’une fine couche d’argent, appliquée à la main. Ce choix n’est pas purement esthétique. L’argent agit ici comme une surface réflexive, conçue pour dialoguer avec le mouvement du soleil. Tout au long de la journée, ces volumes renvoient des éclats changeants selon l’orientation du ciel, les nuages, ou les saisons. Elles ne sont jamais identiques à elles-mêmes, mais se modulent dans une lente chorégraphie lumineuse.
Cette approche n’est pas sans évoquer les recherches de James Turrell, Robert Irwin, ou encore Nicolas Schöffer, chez qui la lumière devient un matériau à part entière. Torres, lui, parle d’un temps lumineux inscrit dans la surface de la sculpture. La lumière n’éclaire pas l’œuvre : elle la complète, la transforme, la prolonge.
La nuit venue, les sculptures continuent d’émettre. Grâce à un système de LED programmées par l’artiste lui-même, chaque volume s’illumine selon un rythme propre, définissant un second cycle : celui de la lumière artificielle, codée, rythmée. Ainsi, Sculptures Algorithmiques est une œuvre solaire le jour, numérique la nuit, un diptyque lumineux inscrit dans la durée.
Sculpture, architecture, environnement une triade contemporaine
L’un des apports majeurs de cette série est sa manière de penser la sculpture comme élément architectural et environnemental. Chaque pièce semble issue d’un fragment de bâtiment, d’un plan échappé d’un logiciel de modélisation ou d’une architecture utopique. Torres travaille avec des formes architectoniques : angles vifs, modules géométriques, cavités, percées.
Mais ces formes, au lieu de construire un espace habité, s’ouvrent à l’environnement. Elles captent le vent, projettent des ombres, reflètent les arbres. Leur rapport à la nature n’est pas décoratif, mais structurel. L’œuvre existe par son insertion dans un lieu, par sa dépendance à la lumière, au sol, à la météo. En cela, Torres se rapproche des pratiques du land art, mais dans une version résolument contemporaine, où le code remplace le bulldozer, et où le paysage devient paramètre artistique.
une esthétique de la complexité calculée:
Avec Sculptures Algorithmiques, Santiago Torres signe une œuvre rare, à la fois mathématique et sensuelle, rationnelle et poétique. Il invente une nouvelle manière de sculpter : écrire des formes, puis les incarner, les faire vibrer dans le monde réel, au gré des conditions atmosphériques et des cycles lumineux. Chaque sculpture est unique, mais reliée à un même protocole : celui d’un dialogue entre l’algorithme, le geste, la lumière et le lieu.
Ces œuvres sont des volumes ouverts, des instruments optiques, des corps en tension entre le visible et l’invisible. Elles affirment qu’il est encore possible, aujourd’hui, de faire parler la matière — même virtuelle — et d’inventer une sculpture du temps, du regard, et du mouvement.