Capturer l’instant présent : Une réflexion sur l’interaction, l’inconscient et l’imprévu dans l’art
- Santiago torres fernandez
- 20 janv.
- 4 min de lecture
Ce qui m’a toujours fasciné dans l’art, c’est sa capacité à capturer non seulement l’instant présent, mais aussi ce qui échappe à notre perception consciente. L’art, à mon sens, ne se limite pas à un objet fini destiné à être contemplé. Il est un espace de rencontre, une ouverture vers l’inattendu, où l’imprévu joue un rôle essentiel. À travers ma série Composition Colors 2008, j’ai voulu dépasser les limites de la contemplation passive pour inviter le spectateur à un dialogue actif. Dès qu’il interagit avec l’œuvre, celle-ci devient vivante. Ce moment d’échange, à la fois éphémère et significatif, constitue l’essence de cette série.
Dans cette démarche, je m’inscris dans une réflexion qui dialogue avec les théories psychanalytiques de Jacques Lacan. Pour Lacan, l’inconscient n’est pas une structure figée, mais un processus en perpétuel mouvement, guidé par le langage, les désirs et les imprévus. De la même manière, mes œuvres ne sont jamais définitives. Elles évoluent en temps réel, se modifiant au gré des gestes et des choix du spectateur. Ce sont des surfaces où se projettent à la fois le conscient et l’inconscient, où chaque interaction révèle quelque chose d’unique et d’imprévisible.
L’imprévu comme moteur de création
L’imprévu est au cœur de mon travail. Contrairement à l’idée d’une œuvre d’art statique, figée dans le temps et l’espace, je conçois mes créations comme des espaces ouverts, où l’intervention humaine devient un élément constitutif. Inspiré par la notion lacanienne de "réel" – cet élément insaisissable qui échappe toujours à la symbolisation complète – je cherche à intégrer cette dimension dans mes œuvres. Chaque interaction produit une rupture, un moment où l’œuvre échappe à son statut d’objet et devient un événement.
Dans Composition Colors, l’œuvre ne trouve sa forme que dans l’instant d’intervention. Ce processus dialogue avec l’idée lacanienne que le "sujet" se constitue dans l’acte, dans l’interaction avec l’Autre. Ici, le spectateur devient ce "sujet", transformant l’œuvre en une extension de son propre inconscient. L’art devient alors un espace où l’on ne contemple pas seulement l’imprévu, mais où l’on le crée activement.
L’art comme interface entre réel et virtuel
Cette exploration de l’imprévu trouve son écho dans les outils technologiques que j’utilise. Conçues comme des interfaces dynamiques, mes œuvres s’inscrivent dans une époque où les écrans tactiles et les réseaux sociaux redéfinissent notre rapport au monde. À l’instar des miroirs de Nicolas Schöffer, qui reflètent le réel tout en le transformant, mes créations jouent sur cette tension entre réel et virtuel. Chaque geste du spectateur devient un acte de création, générant une nouvelle image, une nouvelle œuvre.
Cette approche s’inspire également des réflexions de Lacan sur le miroir, non pas comme simple surface réfléchissante, mais comme espace de constitution du sujet. Tout comme l’enfant se reconnaît dans son reflet lors du stade du miroir, le spectateur de composition colors se découvre dans ses interactions avec l’œuvre. Il ne s’agit pas seulement de manipuler une interface, mais de se confronter à son propre potentiel créatif, à cette part d’inconnu qu’il porte en lui.
Une réactualisation de l’art cinétique et cybernétique
Composition Colors s’inscrit dans une filiation avec l’art cinétique et cybernétique, tout en cherchant à en dépasser les limites. Dans les années 1960-1970, cet art était souvent perçu comme une fin en soi, une exploration purement esthétique des mouvements et des mécanismes. Mon ambition est différente : il s’agit de créer une plateforme ouverte, où la technologie et l’humain se rencontrent pour produire des œuvres en perpétuelle transformation.
Je m’inspire de la Théorie des miroirs de Schöffer, mais aussi des concepts psychanalytiques et philosophiques qui interrogent la place du spectateur dans l’œuvre. Cette démarche témoigne d’un désir de fusionner les avancées technologiques contemporaines avec une réflexion plus profonde sur le rôle de l’inconscient, du langage, et de l’imprévu dans la création artistique.
L’expérience comme essence de l’art
Au-delà de la technologie et de la théorie, ce qui m’importe avant tout, c’est l’expérience. L’art ne réside pas dans l’objet lui-même, mais dans ce qui se passe au moment de l’interaction. Chaque geste du spectateur devient une action significative, transformant radicalement l’œuvre et capturant l’instant présent dans toute sa richesse.
Cette approche rejoint une vision lacanienne de l’art, où le processus de création est un espace de jeu entre le "symbolique", l’"imaginaire", et le "réel". L’œuvre n’est pas un produit fini, mais une rencontre, une relation intense où chaque interaction ouvre de nouvelles possibilités. C’est cette fluidité, cette capacité à rendre visible l’invisible, qui donne à mon travail sa force et sa pertinence.
Une invitation à agir
Avec Composition Colors, je ne propose pas simplement des œuvres interactives. J’invite le spectateur à devenir acteur, à entrer dans un dialogue avec l’œuvre et, par extension, avec lui-même. Cet échange, à la fois conscient et inconscient, révèle non seulement la capacité de l’art à capturer l’instant présent, mais aussi son potentiel à transformer notre rapport au monde.
L’art, dans cette perspective, devient un espace de liberté, d’imprévu et de création infinie. C’est cette vision qui continue de guider mon travail, et qui, je l’espère, résonnera chez ceux qui interagiront avec mes œuvres.
santiago torres - 2008
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