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Lumiere Aleatoire
2012
« Lumière 2.1v agit comme un vecteur dynamique, en interaction constante avec le mouvement, le temps et la participation du spectateur. »
Santiago torres
Lumiere Aleatoire
2012
Santiago Torres – Lumière Aléatoire 2.1 (2012)
Une œuvre entre mathématique naturelle et lumière numérique
Avec Lumière Aléatoire 2.1, Santiago Torres ouvre un dialogue entre les lois fondamentales de la nature et l’univers du code. Réalisée en 2012, juste après sa collaboration avec Julio Le Parc, cette pièce prolonge une réflexion sur la lumière en tant que matière vivante, vibrante, presque spirituelle.
Inspirée par la suite de Fibonacci et d’autres structures mathématiques que l’on retrouve dans les formes organiques — spirales, ramures, réseaux — l’œuvre explore un ordre caché, inhérent au vivant. Mais cet ordre est ici dynamisé par l’aléatoire : les lignes lumineuses, générées par un code, semblent se mouvoir, s’interpénétrer, créer des rythmes imprévisibles. Ce jeu entre précision mathématique et désordre calculé donne naissance à une esthétique nouvelle, à la fois rigoureuse et poétique.
La lumière, dans cette œuvre, ne sert pas à représenter. Elle est. Elle envahit l’espace de l’image comme un souffle, un phénomène presque cosmique, où le calcul se fait sensation. Lumière Aléatoire 2.1v n’est pas une simulation de la nature, mais une réinvention de ses mécanismes — une œuvre qui interroge comment la beauté peut naître du code, et comment la technologie peut révéler une forme de mystique.
De la lumière sacrée à la lumière interactive : une traversée historique jusqu’à Santiago Torres
Depuis les premières manifestations artistiques de l’humanité, la lumière n’a jamais été un simple phénomène physique. Elle est une force. Une présence. Un mystère. Porteuse de sacré, révélatrice d’invisible, elle traverse l’histoire de l’art comme une constante métaphysique. Des temples antiques aux dispositifs numériques de Santiago Torres, la lumière n’a cessé de se transformer, tout en conservant sa fonction essentielle : mettre le monde en vibration, relier le sensible à l’intelligible.
La lumière, médiatrice du divin
Dans l’art sacré, la lumière a d’abord été une émanation du divin. Dans les temples égyptiens ou les ziggourats mésopotamiennes, son entrée était soigneusement orchestrée selon les mouvements du soleil. Elle n’éclairait pas seulement l’espace : elle activait un temps cosmique, révélait la présence d’une entité invisible.
Le christianisme médiéval prolongera cette idée avec l’invention du vitrail gothique. La cathédrale devient alors un instrument optique : l’épaisseur de la pierre s’efface devant la légèreté du verre, et la lumière solaire, filtrée, colorée, devient une manifestation de Dieu. Cette « lux nova » ne montre pas : elle transfigure.
Du clair-obscur à l’éblouissement moderne
Avec la Renaissance, la lumière devient intelligible. Léonard de Vinci l’étudie comme une science. Caravage l’utilise comme une dramaturgie. Rembrandt l’infuse d’intériorité. La lumière devient tension entre ombre et clarté — elle révèle les corps, dramatise les récits, incarne l’âme.
Puis vient l’électricité, la modernité, le néon, l’écran. Au XXe siècle, des artistes comme László Moholy-Nagy, Lucio Fontana ou Dan Flavin déplacent la lumière du plan de la représentation vers l’espace de l’expérience. Avec eux, la lumière devient volume, matière, événement.
Mais c’est dans l’art cinétique, et tout particulièrement chez Julio Le Parc, que la lumière commence à interagir véritablement avec le spectateur. Elle se fragmente, se reflète, se démultiplie selon le mouvement du corps, abolissant la distance entre œuvre et regardeur.
Santiago Torres :
lumière, code et toucher
C’est dans cet héritage plurimillénaire de la lumière en tant que vecteur de transcendance que s’inscrit le travail de Santiago Torres. Mais il le transpose à l’ère numérique, en opérant un glissement fondamental : là où la lumière sacrée était autrefois captée par l’architecture ou filtrée par le vitrail, elle est ici codée, générée, rendue sensible par des dispositifs interactifs qui mobilisent à la fois l’œil et la main. L’œuvre devient écran, non au sens d’un obstacle, mais comme une surface d’apparition, un seuil entre le monde matériel et une dimension symbolique, presque spirituelle.
Chez Torres, la lumière ne se contente plus d’éclairer ou d’envelopper l’espace. Elle est produite par un algorithme, nourri de logiques naturelles – la suite de Fibonacci, les fractales, les rythmes arborescents du vivant – mais mise en mouvement, en vie, par l’action directe du spectateur. Il ne s’agit plus d’un regard contemplatif, passif : l’interaction devient un acte de révélation, où chaque toucher fait naître une forme, déclenche un éclat, révèle un motif. Ce n’est plus la lumière qui vient de l’extérieur pour sublimer un espace sacré : c’est le geste humain, intime, qui en devient la source.
L’œuvre n’est plus un objet isolé, figé dans le temps : elle devient une interface sensible, un organisme lumineux qui répond, réagit, évolue. Cette lumière n’est ni décorative, ni illustrative : elle est expressive, active, porteuse d’une mémoire du sacré transposée dans un langage contemporain. Ce que les anciens appelaient révélation passe désormais par les circuits, les pixels, les capteurs infrarouges. Pourtant, le sentiment qu’elle suscite reste proche de celui que provoquaient les premières rosaces gothiques ou les coupoles d’or byzantines : une émotion immédiate, viscérale, face à quelque chose qui dépasse la matière.
Dans ce geste, Santiago Torres réunit les extrêmes : la technologie et l’intuition, le code et le cosmos, la main et la lumière. Il invite le spectateur à un rituel sans dogme, une expérience méditative où l’on touche la lumière pour mieux se laisser toucher par elle. Ses œuvres ne racontent pas : elles invoquent. Elles réactualisent ce que l’art sacré a toujours poursuivi — la présence du mystère dans l’évidence du visible.