serie
Gravure Algorithmique
2018

Gravure Algorithmique #1, 2018
Gravure laser sur écran LCD 22 pouces, rétroéclairage LED
Série : Gravures Algorithmiques
Avec le soutien de l’Académie des Beaux-Arts
« La gravure est un combat avec la matière, un lent dialogue avec la résistance. »
— Pierre Soulages
Gravure Algorithmique
2018
La ligne, la lumière et le code : vers une post-gravure contemporaine
Dans la tradition occidentale, la gravure a longtemps occupé une place centrale dans la diffusion de l’image, la transmission des savoirs et la recherche formelle. De Dürer à Piranèse, de Rembrandt à Escher, elle a permis de faire dialoguer la main, l’outil et la matière selon des principes rigoureux où chaque ligne incisée portait la mémoire d’un geste et la trace d’une pensée.
En 2018, Santiago Torres s’inscrit dans cette histoire, mais à sa manière : en réactivant la gravure à travers le prisme de l’algorithme, du volume numérique et de la lumière contemporaine. Sa série Gravure Algorithmique n’est pas une simple modernisation d’une technique ancienne. C’est une redéfinition complète des conditions d’existence de la gravure : dans ses outils, ses supports, ses langages et ses rapports au temps.
La ligne comme point d’origine : de la forme 3D à l’empreinte 2D
L’un des gestes fondateurs de cette série repose sur une inversion du processus classique de la gravure : au lieu de partir d’un dessin pour aboutir à une image imprimée, Torres part d’un modèle 3D, conçu dans ses œuvres antérieures, pour en extraire une série de lignes générées numériquement. Ces lignes ne sont pas des contours, mais des trajectoires, des nervures structurelles, issues d’un langage algorithmique.
Ainsi, la ligne devient vecteur de passage entre les dimensions, elle est à la fois mémoire du volume et projection sur une surface. Cette approche évoque le travail d’artistes comme Vera Molnár ou Manfred Mohr, qui ont exploré dès les années 1960 la capacité du code à produire des formes plastiques inédites.
Chez Torres, cette ligne est traduite en une gravure physique, imprimée sur papier, comme un retour à la tradition. Mais ce retour est trompeur : c’est la machine qui grave, selon un plan numérique millimétré, tandis que l’artiste compose, modifie, sélectionne, dans un rôle de chef d’orchestre plus que d’artisan.
Du papier à la lumière : la gravure sur écran LCD :
Ce qui distingue véritablement Gravure Algorithmique dans le paysage de l’art contemporain, c’est l’audace d’un support inédit : l’écran LCD. Santiago Torres choisit de détourner cet objet du quotidien — support de l’image mouvante, de l’information immédiate, de l’interface numérique — pour en faire un support de gravure fixe, paradoxal et conceptuellement fort.
À l’aide d’un graveur laser de haute précision, Torres incise directement la surface interne de l’écran, y traçant des motifs géométriques inspirés de ses volumes numériques. Le rétroéclairage LED, habituellement invisible, devient ici source active, matière lumineuse qui traverse les incisions et donne vie à l’œuvre. Ce procédé transforme la gravure en une image-lumière, où l’encre est remplacée par l’éclat.
Ce travail n’est pas sans rappeler les recherches de Moholy-Nagy sur la lumière comme médium plastique, ou celles de Julio Le Parc sur la vibration lumineuse. Mais Torres franchit une étape supplémentaire : la lumière n’est plus projetée ou réfléchie, elle est émise de l’intérieur même du support, comme si l’écran, vidé de sa fonction d’affichage, devenait pur émetteur d’art.
Gravure post-industrielle : entre technique, mémoire et invention
Dans cette série, chaque œuvre est le fruit d’un processus rigoureusement orchestré. L’artiste programme, teste, ajuste les puissances du laser, choisit la profondeur de gravure, et intègre les variations d’émission lumineuse selon les types d’écrans. Cette attention au détail inscrit son travail dans une tradition de précision et de savoir-faire comparable aux maîtres anciens de la gravure. Mais contrairement à ceux-ci, Torres ne cherche pas la reproduction multiple : chaque gravure est unique, produite pour elle-même, dans une logique singulière et non sérielle.
Il y a dans Gravure Algorithmique une forme de méditation technologique. En réutilisant des écrans obsolètes, Torres inscrit son travail dans une réflexion sur la mémoire des machines, la matérialité des supports numériques, et la possibilité de leur réenchantement artistique. L’écran, devenu muet, accueille désormais une œuvre stable, silencieuse, mais intérieurement vibrante.
la gravure comme seuil entre l’analogique et le numérique
Avec Gravure Algorithmique, Santiago Torres propose une œuvre profondément hybride, située entre le passé technique de l’art et ses avenirs incertains. Il transforme le geste de graver en un acte conceptuel : celui de faire dialoguer le calcul, la lumière et la surface. En cela, il participe à une nouvelle définition de la gravure non plus comme une technique, mais comme un mode de pensée plastique, un moyen de fixer le flux dans une forme stable.
Son travail inspire déjà une nouvelle génération d’artistes qui, refusant la fracture entre tradition et innovation, explorent le potentiel poétique de la machine, la sensualité du code, et la matérialité du numérique. À travers l’incision et la lumière, Gravure Algorithmique inscrit une ligne nouvelle dans l’histoire de l’art.